Quelques pensées de fin d’année…
Noël est passé, j’espère que vous et vos enfants ont eu plein de trains miniatures sous le sapin!
Un nouveau séjour aux Etats-Unis me donne envie de dire quelques mots sur la différence entre nos deux continents, et leurs vues respectives sur les trains.
Les Européens et les Américains aiment se penser différents. Quiconque travaille entre les deux continents ou voyage souvent sait que c’est tout de même un peu exagéré. Il y a par contre un domaine, où l’on peut clairement dire que les deux portions du monde diffèrent: la place et l’image des trains dans la vie quotidienne.
En deux mots: en Amérique du Nord (Canada compris), le train est un objet du passé; alors qu’en Europe, il fait parti du quotidien et a un futur tout tracé.
La fin d’un rêve d’Amérique
Dans le premier film des « Hunger Games » (2012), les pauvres candidats à l’abattoir médiatique sont transportés vers le Capitol dans un train maglev hyper moderne (à sustenstation magnétique). La bonne dame du Capitol un peu fofolle (jouée par Elizabeth Banks), affirme ceci dans la version originale: « 200 miles par heure, et on ne sent presque rien« . (200 mi/h = 321 km/h)
C’est une phrase plutôt triste pour les amateurs de train. Les auteurs, dont un admet facilement qu’ils n’ont pas de culture ferroviaire, s’imaginent que dans un futur lointain, des trains magnétiques hyper-technologiques atteindront seulement 321 km/h. Cette phrase est voulue probablement par les auteurs américains comme un moyen de situer l’avancement technique futuristique du Capitol dans le film.
Le problème bien sûr, c’est que 320 km/h, c’est la vitesse commerciale de beaucoup de lignes à grande vitesse récentes (dont la LGV Est). Donc, il n’y a ni besoin d’attendre 300 ans ni de monter dans un Maglev pour atteindre cette vitesse.
En fait, le seul Maglev en service commercial (le Transrapid de Shanghai) atteint sans peine 431 km/h tous les jours. Quant au plus grand projet (et le seul concret à ma connaissance), le Chūō Shinkansen ou Linear Express, il reliera les villes Japonaise à des vitesses commerciales de 505 km/h (313 mi/h) en 2021.
La réalité américaine est bien sûr différente. Les distances sont énormes, et la voiture a une place beaucoup plus grande, même au coeur des grandes villes. Il y a bien des débats récurrents sur des projets de lignes à grande vitesse (par exemple en Californie), mais il finissent toujours en débat politicien (Républicains contre Démocrates). Sans rentrer dans les détails, il faut dire que le train en Amérique a passé son heure de gloire.
Le seul train « à grande vitesse » d’Amérique du Nord, serait l’Acela Express, qui relie Boston à Washington via New-York et Philadelphie. Après l’avoir essayé, et sans vouloir vexer personne, il faut dire une chose: si c’est la seule référence de grande vitesse qu’ont nos amis nord-américains, il ne faut pas s’étonner s’ils ne rêvent pas de TGV… Le train atteint péniblement 240 km/h (150 mi/h), avec une moyenne de 110 km/h (70 mi/h) !
En fait, ce train n’est pas à grande vitesse pour plusieurs raisons. D’une part, la plupart des pays considèrent un train à grande vitesse à partir de 250 km/h. Mais après tout, on peut considérer ceci comme arbitraire. Par contre, l’Acela doit partager ses voies avec des trains normaux – même des trains de fret, ce qui rend la vrai grande vitesse impossible.
Ce qui est très intéressant, c’est de voir à quel point l’Amérique est encore loin de la grande vitesse. D’abord, Amtrak, la compagnie nationale américaine, n’a aucune expérience dans le domaine. Alors que la France a commencé vers 1970, le Japon vers 1960, la technologie est inexistante aux USA. Bien sûr, il ne s’agit pas d’envoyer une fusée sur mars, mais faire rouler un train à 300km/h cela demande tout de même une grande expertise. C’est pour cela que les appels d’offre pour la ligne californienne ont fait appel à des candidats étrangers.
Cependant, même si certains américains aiment détester Amtrak, il n’y a aucune raison de penser que la compagnie ne pourrait pas se mettre à la grande vitesse. Non, il y a un autre grave problème…légal. Une règle de 1920 indique que les trains doivent résister à des impacts avec des objets de 800,000 livres. Cette règle, qui a sûrement sauvé des vies à l’époque où le réseau était non surveillé, est maintenant un frein à la grande vitesse (voir cette analyse en anglais ici). C’est donc pourquoi les trains américains nous paraissent, à nous européens, si énormes: c’est parce qu’ils doivent l’être!
Bien sûr en Europe aussi, et au Japon, les trains doivent résister aux collisions; mais à partir d’une certaine vitesse, on sait bien que c’est seulement la surveillance du réseau qui évitera les catastrophes, et qu’il veut mieux construire des trains légers. En fait, à l’exception de l’accident en Chine il y a 3 ans, du à une construction bâclée, le seul grand accident d’un train à grande vitesse dans le monde n’était pas une collision (la catastrophe d’Eschede).
Mais assez de faits. En résumé, il n’y a aucune vraie ligne de chemin de fer efficace et rapide en Amérique du nord. On ne peut donc pas blâmer les Américains et les Canadiens, s’ils pensent que le train est pour les « étudiants, les retraités et les pauvres »! Le pire, c’est que les compagnies de chemin de fer se satisfont de la situation. Je me souviens d’avoir cherché une liaison entre Montréal et la ville de Québec. La compagnie Canadienne VIA Rail mettait en valeur…les jolis paysages! Cela paraît peut être naturel pour mes lecteurs Québécois, mais moi, Européen naïf, je cherchais un moyen efficace et rapide pour aller d’un point A à un point B, pas une ballade bucolique!
L’Europe sur la ligne
J’ai eu la chance d’habiter dans plusieurs capitales, dont Bruxelles. En train Thalys, Paris était à 1h10, Amsterdam et Cologne à environ 2 heures, et avec l’Eurostar, Londres était à 1h50 de distance. En Europe, même si la plupart d’entre nous n’utilisent pas la grande vitesse ferroviaire au quotidien, elle fait partie de la palette d’option naturelle dans la recherche de voyages d’affaires ou de vacances.
Dans le cas d’un Bruxelles-Paris, aucune homme d’affaire ne s’amuserait à prendre un avion pour perdre 2 ou 3 heures de plus (en fait, les compagnies aériennes ont presque abandonné la liaison, sauf quelques rares vols pour assurer les connexions intercontinentales).
L’histoire de la grande vitesse en Europe est fascinante. La France a commencé, avec son TGV et de gros investissements dans un réseau adéquat; depuis, l’Allemagne a gagné ses gallons malgré l’absence de grand réseau national: l’ICE est un des trains les plus vendus au monde. L’Espagne a aussi énormément investi, et la Grande-Bretagne, sûrement convaincue par l’éxpérience Eurotunnel, va commencer à construire sa première liaison nationale.
La règle approximative, c’est que tout trajet en train de moins de 3 heures est un concurrent redoutable pour le transport aérien. Ceci a été prouvé à Paris, Londres, Bruxelles, Strasbourg…. Les européens ont donc une vision totalement différente du rail: le train n’est pas quelque chose du passé, c’est aussi une solution actuelle et pérenne.
D’un autre côté, il ne faudrait pas que les lecteurs québécois pensent que tous les gens ici prennent le train. Beaucoup n’ont pas accès à des lignes à grande vitesse, et ont prends toujours l’avion pour les distance moyennes et grandes. En réalité, il n’y a en Europe aucune idéologie sur le rail: le train n’est ni un moyen de transport « mignon et démodé », ni un « truc à la mode », c’est simplement une option valide lorsqu’on prévoit des vacances ou une réunion.
Et puis enfin, rappelons qu’il ne s’agit pas de donner de leçons à l’Amérique du Nord. Les conditions sont bien différentes. Aux delà des distances elles-mêmes, les villes y sont bien plus étendues, et réseaux de transports publics moins maillés. On pourrait penser en effet qu’une ligne à grande vitesse entre San Francisco et Los Angeles est une évidence…mais que sont censés faire les voyageurs pour aller à leurs rendez-vous, s’ils n’on pas de moyen de transport à LA?
L’avenir nous dira
Le Japon est en train de construire la première vraie ligne de Maglev. S’agit il d’une technologie marginale, avec des coûts astronomiques, ou d’une solution tellement futuriste qu’elle nous parait encore fantaisiste? Il faudra attendre au moins 10 ans avant de le savoir.
L’Europe quant à elle continue d’étendre son réseau à grande vitesse, à grand renfort de subventions de l’Union Européenne. Peut-être qu’un jour, les Etats-Unis verront également pousser des liaisons ça et là…
Les compagnies aériennes savent désormais se méfier des nouvelles liaisons à grande vitesse sur les petites distances, mais elles n’ont rien à craindre au delà de 3 heures de train. L’avion restera un moyen de transport évident. Sans oublier qu’on a beau aimer les trains, un avion, c’est aussi une belle machine; un Maglev flottant à 5cm des voies ne remplacera le vol!
En attendant, on peut juste regretter que la désuétude des trains en Amérique du Nord n’accélère la belle mort du modélisme ferroviaire. C’est déjà une chose d’avoir un hobby passé de mode; si en plus l’original grandeur nature ne fait plus rêver, cela n’est pas bon signe. Comment expliquer à jeune de Phoenix (Arizona), qu’un train miniature c’est sympa…alors que la dernière gare de la ville a fermé depuis des décennies?
Concluons avec une note positive, une citation de Louis Armand:
« Si le Chemin de Fer survit au XXème siécle, il sera le transport du XXIème. »
Bonne fin d’année, et comme dise les Allemands ici, « bonne glissade dans la nouvelle année » (Guten Rutsch) !